Angers

De Modiano à Paul Valéry en passant par Valenciennes, Montpellier et Google.

Publié

le

Anyhow

Je furetais hier dans ma bibliothèque pour retrouver « La place de l’étoile », le premier roman de Patrick Modiano qui vient d’obtenir le Nobel de littérature. Ce livre avait paru dans la collection blanche de Gallimard, œuvre d’un inconnu de 23 ans mais qui fit aussitôt sensation. J’avais 15 ans lorsque je fis l’acquisition en 1968, dès sa parution, de ce petit volume à la librairie Giard, place d’Armes à Valenciennes. Je me revois encore sortir du magasin, le livre à la main.

Cette librairie Giard elle-même était un lieu symbolique, propriété d’une famille de libraires-éditeurs établis dans le Nord de la France avant la Révolution et dont un descendant a toujours pignon sur rue à Lille. La librairie Giard de Valenciennes, hélas, a depuis longtemps laissé place à une « boutique obscure », pour reprendre l’expression de Modiano.

J’ai donc retrouvé hier mon exemplaire de « La place de l’étoile » où j’avais glissé, après ma lecture de l’époque, un petit bout de papier sur lequel j’avais dactylographié (j’avais une machine à écrire que je chérissais) une citation de Maurice Barrès : « Mieux vaut un long passé qu’un long avenir. » Comment l’adolescent de 15 ans que j’étais a-t-il eu l’idée de recueillir et de reproduire cette formule de Barrès ? Que savais-je, moi, élève du lycée Wallon, de l’auteur de « La colline inspirée » ? Rien, évidemment.

Mais, avec près d’un demi-siècle de recul, permettez-moi de rendre hommage au très jeune homme que j’étais. Oui, j’avais vu juste : ces mots de Barrès correspondent tout à fait à la littérature de Modiano. Je l’avais confusément ressenti dès la lecture de son premier roman, déjà fondé sur « un long passé » en grande partie inventé, reconstitué, démembré et rafistolé. Tout Modiano est dans cette quête obsédante d’un passé diffus, évaporé. C’est, en quelque sorte, « A la recherche du temps perforé ». Chez Proust, les souvenirs sont nombreux, précis et minutieusement décrits. Modiano, à l’inverse, rassemble, en cheminant, des bribes incertaines de mémoire défaillante.

J’ignorais comme tout le monde, en lisant son premier livre en 1968, que Modiano deviendrait cet auteur prolifique et néanmoins bafouillant devant micros et caméras, promis à « un long avenir ». Et ma bibliothèque contient bien tous les livres de Modiano que j’ai achetés, au fur et à mesure, depuis 40 ans.

Étrangement, mon pèlerinage livresque chez Modiano m’a ramené à Paul Valéry dont je ne cesse de croiser le chemin depuis mon récent séjour à Sète. Non loin des Modiano, j’ai déniché sur une étagère un exemplaire de « La jeune Parque », le long poème que Valéry mit quatre ans à composer et qui marqua son retour en littérature, sur insistance de son ami Gide et après vingt années de silence total.

J’avais complètement oublié que je possédais ce livre que je n’avais jamais lu. En y réfléchissant, je me suis souvenu que j’avais acheté ce petit bouquin pour quelques dollars dans une brocante à New York, vers le milieu des années 90. Cet exemplaire est d’ailleurs entaché d’un délit : il a été sorti du département de français d’une bibliothèque universitaire américaine (probablement New York University), jamais restitué et vendu sur un trottoir. Je suis donc receleur d’un objet volé. Le volume renferme une carte de lecture prévue pour répertorier les emprunts successifs. La carte est vierge. Les pages du livre n’étaient d’ailleurs pas découpées. Je les ai moi-même séparées hier.

Le poème de Valéry parait pour la première fois en 1913 mais l’édition que j’en possède date de 1953 (année de ma naissance). Elle est (comme Modiano) dans la collection blanche de Gallimard. Le texte poétique est accompagné, dans cette édition posthume (Valéry est mort en 1945), d’une préface et d’un long commentaire, ligne à ligne, rédigés assez pompeusement par le philosophe Alain. A vrai dire, « La jeune Parque », poème de 500 alexandrins académiques, est une curiosité désuète, parfois traversée de jolis moments mais globalement d’un élégant ennui.

Cette découverte décevante m’a poussé ensuite, pour ne pas rester sur une mauvaise impression, à relire quelques pages de « Monsieur Teste » du même Valéry. Là, le plaisir est intact. Livre cinglant et lumineux malgré son sujet énigmatique. Texte d’une modernité totale. Le « nouveau roman », beaucoup plus tard, n’inventera rien.

Et en faisant une petite recherche sur Internet, je découvre qu’une « avenue de Monsieur Teste » existe à Montpellier (où je viens de passer à nouveau une semaine). Le Sétois Valéry avait fait une partie de ses études secondaires dans cette ville. L’ « avenue de Monsieur Teste », à l’ouest de Montpellier, passe non loin de l’école élémentaire publique Spinoza. Cela me ravit de savoir que des enfants apprennent à lire aujourd’hui sous les auspices d’un philosophe rationaliste hollandais du XVIIIème siècle et qu’une ville ait donné à une avenue le nom d’un personnage littéraire totalement imaginaire. Existe-t-il ailleurs une « rue de la Princesse de Clèves » ou un « boulevard Julien Sorel » ?

Mais, en me plongeant sur le plan de Montpellier dans « Google Maps », je découvre avec effroi que le service cartographique américain sur Internet a ajouté un accent au nom de l’avenue qui devient « l’avenue de Monsieur Testé ». C’est Google qui devrait se tester davantage. « La bêtise n’est pas mon fort », écrivait justement Valéry au tout début de « Monsieur Teste ». Google aurait du mal à en dire autant.

Par Anyhow

Les + vus

Quitter la version mobile